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Comprendre l'intégration sensorielle


« Vous ne goûtez pas avec votre palais ; vous goûtez avec votre cerveau » a dit un certain Mark Friedman, Directeur Associé du Monell Chemical Senses Center aux Etats-Unis.


Les perceptions gustatives varient en fonction d’une multitude de facteurs comme la couleur, les attentes ou l’environnement. Ces facteurs sont le résultat d’un apprentissage dit « associatif » qui influence nos perceptions. Une fraise bleue, par exemple, sera perçue par notre cerveau comme ayant un goût différent d’une fraise rouge car notre cerveau a appris que la fraise est associée à la couleur rouge. D’une manière plus générale, tous nos sens, mais aussi notre histoire personnelle, notre mémoire, notre niveau d’attention ou notre humeur, participent à la construction de notre perception des goûts. Notre cerveau associe ce qu’il voit, entend et ressent pour générer des expériences subjectives et très variées.

Notre perception du goût d’une fraise ne sera pas la même selon qu’elle est bleue ou rouge


Fraise bleu
Fraise rouge

L’environnement extérieur a un impact sur notre perception des saveurs. Plusieurs études montrent par exemple qu’elle est entre autres influencée par la pression atmosphérique et le volume sonore environnant. Cela expliquerait en partie que la nourriture dans les avions paraisse systématiquement insipide ou encore que la nourriture dans les restaurants bruyants paraisse fade. C’est aussi sans doute pour cette raison que la Nasa donne aux spationautes des aliments aux goûts extrêmement prononcés. De manière plus générale, la musique, la couleur de la nappe, la météo, la température de la pièce et de nombreux autres facteurs ont un impact sur notre perception sensorielle.


Une de nos forces en tant qu’Homme est notre capacité d’apprentissage grâce à la plasticité de notre cerveau. Dans le domaine culinaire, cela se traduit notamment par notre capacité à intégrer à notre régime des aliments que nous n’avons jamais goûtés auparavant. Cela augmente considérablement nos capacités de survie car nous pourrions alors nous adapter si certains aliments venaient à manquer. Si un aliment se fait rare à cause d’une sécheresse par exemple, nous sommes en mesure d’en trouver un autre pour le remplacer. 


L’apprentissage commence dès les premiers jours de notre vie de fœtus. Le régime alimentaire de notre mère influence déjà nos préférences et notre goût d’individu en devenir. Et plus il est confronté à de nouvelles saveurs, plus le fœtus a de chances de les les intégrer à son registre des aliments qui lui plaisent.


Notre cerveau fonctionne par association d’idées. Nous commençons notre vie, en tant que nouveau-né, avec un appétit pour un nombre très limité d’aliments. Il s’agit d’un instinct primaire pour nous protéger de l’étranger, c’est à dire de nourritures potentiellement toxiques pour notre organisme. On parle de néophobie. Certains enfants y sont particulièrement sensibles comme l’auront constaté les nombreux parents qui se sont arrachés les cheveux en essayant de faire manger des légumes à leur progéniture. Cette néophobie est inscrite dans nos gènes, à un niveau plus ou moins important selon les individus. Mais par association de saveurs, nous sommes capables de la surmonter. Prenons l’exemple du sucré. Tout le monde aime le sucré dès la naissance. C’est une des raisons pour lesquelles le ketchup est autant aimé des enfants. Dans la tête de l’enfant, « ketchup = sucré », donc le ketchup est bon. 


Autre exemple, la méfiance légendaire des enfants pour le brocoli. Maintenant, ajoutez-y du ketchup à plusieurs reprises et l’enfant fera bientôt l’association suivante : « Brocoli = ketchup = sucré = bon ». Et le brocoli entrera dans le registre des aliments qui lui plaisent. Le café est un autre exemple de ces associations. Par son goût amer, il ne plaît pas au début. Mais en y ajoutant du sucre, nous développons une appétence pour le café grâce au sucre. Et une fois que nous avons décrété aimer le café, nous pouvons alors supprimer le sucre.


La vanille est un autre bon exemple du fonctionnement par associations d’idées de notre cerveau. Dans les sociétés occidentales, la vanille est souvent définie comme sucré ; pourtant la gousse de vanille à l’état brut est particulièrement amère et surtout pas sucré. Cela s’explique par le fait que la vanille est souvent utilisée dans des desserts qui contiennent du sucre ; nous faisons ainsi mécaniquement l’association vanille et sucre.


Un autre facteur qui rentre grandement dans la sélection des aliments que nous qualifions comme « bons » est l’énergie qu’ils nous apportent. Nous mangeons pour nourrir notre corps. En ce sens, il n’est donc pas surprenant que nous aimions particulièrement les aliments qui nous apportent de l’énergie, c'est-à-dire essentiellement tous ceux qui contiennent du gras et du sucré. Au-delà du goût et de l’odorat, lorsque notre organisme reçoit du sucré et du gras (sources d’énergie), il réagit positivement. Je me rappelle une marche dans les Alpes faite lorsque j’étais enfant. Nous avions marché pendant plusieurs heures après un déjeuner frugal, et j’avais faim. Très faim. Les paysages étaient certes magnifiques, mais je n’avais qu’une idée en tête : manger. En arrivant finalement à notre destination, mes parents m’ont donné une barre de céréales. Elle n’avait rien d’incroyable en soit, mais je me rappelle le plaisir intense que j’ai ressenti en la mangeant. Indépendamment de ses saveurs, mon corps associait cette barre de céréales à un moment intense de plaisir par les calories qu’elle lui apportait. Lorsque nous avons faim, la nourriture paraît meilleure.



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Cette association plaisir et calories, que nous pourrions aussi identifier comme l’association du plaisir avec le gras et le sucré, s’illustre bien avec le chocolat. Lorsque le cacao a été ramené des Amériques au XVIème siècle, c’était un aliment amer que rien ne prédisposait à une popularité mondiale. Comme le café, il était servi initialement en tant que boisson. Ce n’est que plus tard qu’il a été associé au sucre et au gras pour apparaître sous la forme plus courante de barre chocolatée ou encore de chocolat chaud. C’est en grande partie par l’apport en calories du sucre et du gras que le chocolat est aujourd’hui aussi populaire.

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